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Carnets nature aux étangs

, 05:58am

La guerre du cygnecygne.jpg 

Le ciel capricieux se partage entre bleu et gris, mais pas de pluie. Les arbres bruissent  et s’enrichissent toujours de plus de feuilles en cette saison, battues par le vent. Je m’approche de l’étang des galets. Quatre colverts pataugent tranquillement, quatre mâles avec la livrée que l’on connaît le mieux, la tête et le cou d’un vert métallique. L’absence des femelles indique qu’elles sont occupées à couver, bien camouflées dans des herbes hautes ou une roselière un peu plus loin.

 

Les oies bernaches du Canada reviennent petit à petit sur cet étang, quatre, bientôt cinq. Coups de trompette et on se pose. S’agit-il de mâles seulement ? Comment le savoir, la livrée est identique chez les oies. Les femelles auront-elles bientôt des petits ? Le mystère reste entier. Venant probablement de Grande Bretagne, ces bernaches ont depuis un an choisi ce site sur leur parcours de migration. Ont-elles déjà suffisamment de confiance pour faire naître une progéniture ?

 

Patience. L’observation et le temps me donneront les réponses. En tout cas, en cet instant, je ne suis pas la seule à les observer. Le cygne mâle qui veille à la tranquillité de sa femelle couveuse pourtant installée sur l’îlot protégé, à quelque cent cinquante mètres de là, s’approprie toute la surface de l’étang. Il ne supporte manifestement pas la présence des bernaches alors que les colverts le laissent indifférent.

 

La chasse commence. Je l’aperçois au loin venant de l’îlot. Il prend son élan un peu lourdement et après maints efforts parvient à s’envoler. Il vole au ras de l’eau et s’approche. En un éclair il est là, le regard décidé et se pose dans un jaillissement d’eau qui indique déjà la teneur de ses intentions. Il prend alors un air de combattant. Avançant par saccades le cou en arrière puis en avant, il grommelle et donne l’impression de marcher sur l’eau, puis il positionne ses ailes en arc de cercle au dessus de lui. Le seigneur des eaux est en représentation. Et il chasse, il se rue sur une bernache, puis une deuxième, une troisième. L’étang n’est plus que mouvements d’ailes, jets d’eau et symphonie pour trompettes.

 

Le cygne souffle quelques secondes, puis se fixe une autre bernache comme objectif, prend une direction et se rue à l’assaut. La pauvre bernache proteste énergiquement, sort de l’eau et monte sur l’herbe. De quoi a-t-elle l’air maintenant ?

Les bernaches se préviennent dès qu’elles sentent l’importun se préparer à l’attaque. Puis lassées, elles vont décoller les unes après les autres vers un étang plus calme, dans des cris qui expriment leur révolte et percent le ciel.

 

Voilà, l’étang reprend la quiétude qui lui sied dans cet après-midi légèrement couvert d’un avril prometteur de petits à naître. La loi de la nature incite chacun à tenir son rôle, à prendre sa place. Le cygne satisfait du travail accompli, s’en va rejoindre sa compagne.

 

Pèlerin de la naturecolvert.jpg 

 

L'allée filtre la lumière qu'elle ne distille que doucement sous l'avancée des pas. Déserte à cette heure, comme fantomatique, elle permet peu à peu d'entrevoir le lac figé par la glace. Le temps s'est arrêté, le souffle est coupé, l'atmosphère est blanche, bleutée et laisse les mouettes étonnées d'avoir ainsi à patiner. Voilà bien un surréaliste ballet. Où sont donc les colverts ? Plus loin sans doute dans les roseaux. La glace y est brisée.

 

Je respire l'instant, chaque fragment de vie, coup d'ailes, coup de trompe dans l'espace, chaque embardée sauvage des canards sur quelques flaques résistant à l'hiver. Instinctivement, je murmure des mots descriptifs qui révèlent mon imprégnation. Tant d'images sont ancrées dans ma mémoire. Souvenirs d'hiver, d'été, saisons vibrant à toutes les palettes de la nature et de ces merveilleux oiseaux.

 

C'est le printemps. Je suis assise sur l'herbe, en hauteur face à l'étang. J'observe, je chasse le bonheur visuel, le partage complice.

Un troglodyte mignon - un poids plume - vient sautiller très près de ma main. Surtout ne pas bouger, ne plus respirer si c'est possible, juste le contempler. Il sautille de droite à gauche, tout à ses occupations. Sans la moindre chance de pouvoir le photographier, je me contente du plus beau, d'éprouver une minute unique en sa compagnie toute d'indifférence –est-ce bien certain ?- et de le regarder vivre ce fragment de sa vie. Je m'efface et j'appartiens à cette vie-là si frêle, pour un instant. Puis il s'envole, bien sûr, on connaissait la fin.

 

Là, à deux coups d'ailes, j'observe une sittelle " torchepot", qui descend du tronc d'arbre la tête en bas. C'est unique chez les oiseaux, elle seule est capable de cette prouesse ! Et elle sait aussi fort bien défendre la prise d'un nid contre d'autres passereaux, elle me l'a montré.

 

Je reviens sur l'étang. Apparaît un grèbe huppé, oiseau mystérieux des étangs, tendre punk aux couleurs de feu et aux mœurs exemplaires. Il disparaît tout aussi vite au gré de sa pêche et entraîne son petit, comiquement zébré. Passé Pâques, Le couple de cygnes tuberculés, très lié, promène avec orgueil et fierté sa nouvelle progéniture. La balade est emplie d'émotion, les cygnons sont pour quelques semaines encore, des poussins peluches qu'il faut surveiller et guider vers la vie.

 

Et puis le cygne mâle seigneur de l'étang, va soudain montrer sa toute puissance en chassant tout intrus de son territoire conquis. C'est la colonie de bernaches du Canada, pourtant pacifiste qui subit le courroux du tyran. Ce ballet-là est tout d'agressivité, d'explosion d'eau, de coups d'ailes et de becs ! Le cygne est furieux - on se le cancane parmi la volaille !- il avance par coups de pattes saccadés, fait le gros dos, déploie en les haussant, ses ailes, se rue à l'assaut de ces oies brunes. "Caletez, mécréantes !" Le chevalier blanc fait merveille, les unes après les autres, les malheureuses se précipitent sur la terre ferme en couinant bruyamment. "Cet étang m'appartient, j'entends qu'on m'y laisse en paix !".

 

La surface de l'eau me renvoie mon image ébouriffée par ces spectacles toujours recommencés et pourtant uniques. Mon regard suit tout-à-coup sur l'horizontale de l'eau, une flèche minuscule orange et bleue. Elle traverse la largeur de l'étang et disparaît sous une avancée de roselière. Mon œil est suffisamment acéré pour se régaler d'un tel spectacle. Je viens de voir un martin-pêcheur ! Oiseau superbe et si discret. Je suis grisée tant par l'air qui souffle encore frais que par cette vie de la nature, de ses rythmes et de ses acteurs. Tiens, là je devine aux pompons blancs qui tressautent, la présence de lapins sortis des buissons à cette heure avancée de la journée.

 

Le soleil bientôt épouse l'horizon ; croit-on qu'il va dormir ? Non, il se baignera toute la nuit dans le miroir d'eau et au matin, tout pimpant il décidera de nous prêter de nouveau sa pleine lumière.

La nature nous offre tout.

 

Combien de fois, arrivant aux étangs, je fus étonnée de découvrir que s'étaient installés pour quelque temps, là un couple de canards carolins, là un cygne noir, que j'avais surnommé Trompette, là deux ouettes d'Egypte, plus loin, deux oies de Sibérie. Et puis cette patiente installation des bernaches du Canada, ces oies venues de Scandinavie ou d'Angleterre, passant sur ces étangs et s'y posant à onze individus un premier hiver, la population s'élevant à vingt-trois l'année suivante, puis à trente cinq et enfin après s'être assurées de la qualité du lieu, nichant et devenant une colonie d'une soixantaine de membres à présent.

 

Dans ma promenade, je rêvasse engourdie et bientôt je fais halte. Cachée derrière un bosquet, je m'agenouille sans bruit, je fixe le bord de l'étang. Quelques tortues sont posées en brochette face au soleil, sur un branchage flottant.

Evénement ! Un ragondin vient se mêler à la becquée des bernaches et des colverts qui se jettent sur les miettes de pain de mie aux raisins que je leur adresse. J'ai le temps de fixer l'image dans mon objectif. Plus loin, après quelques pas encore, j'observe les clapotis dessinés par les artistes sous-marins que sont les carpes.

 

Brusquement, je sens une présence, mon œil se détourne. Le sien est fixe, si captivant, l'œil du héron cendré ; et le corps du héron cendré, dressé lumineux comme un roseau, sur une seule jambe. Sa présence est rare à cette heure. D'habitude, je le guette vers sept, huit heures du soir plutôt sur la cime d'un arbre avant que de le voir pêcher.

D'un coup, il prend son envol - ralenti d'images - il déploie ses ailes, son corps se fait bossu. Sa ligne est caractéristique, on ne peut se tromper à l'observer en vol. Je le chasse pacifiquement, je franchis les quelque lieues qui nous séparent en le suivant des yeux. Il sait que je le suis, je l'observe. Pardon du dérangement !

 

Des piaillements m'alertent vers le haut de quelques épicéas. Pas d'erreur, ce sont bien les cris de mésanges bleues. Minuscules, divines boules de plumes de dix grammes, bleues et jaunes. Dame nature s'est faite poète et a créé là, un véritable joyau. Elles tournoient, se cherchent, s'appellent, se sifflent, s'interpellent, se préviennent de ma présence. Elles sautillent d'effervescence. Le printemps est chaleureux, il leur offre du bonheur à moudre. Et elles le dispersent à tout va dans ce ciel qui est leur ; et j'en prends, j'en respire à la volée !

 

Les arbres ensorcelés eux-aussi, en frémissent doucement des racines à la cime. Je me demande si quelquefois, ils n'auraient pas envie d'échanger leurs feuilles contre des plumes ! Ces petites boules d'or m'ont peint du soleil dans les yeux. L'inspiration est là présente, bouillonnante sous ma caboche. Silencieusement, patiemment, passionnément, j'ai revêtu les habits du pèlerin de la nature.

 

 

 Animal et végétalgrebe.jpg 

Je me blottis parmi les branchages sur une hauteur face à l’étang des galets. C’est un petit coin tranquille que j’avais repéré, bien à l’abri du bruit et des mouvements des promeneurs au détour du sentier. Une légère butte qu’il faut descendre et me voilà tout au bord, un peu en hauteur de l’étang si près des bruissements des passereaux et du passage des anatidés. Je me blottis. J’appartiens dès lors au lieu choisi, je respire avec lui, tous mes sens en éveil.

 

Je guette le passage du couple de grèbes huppés, petites merveilles d’oiseaux d’eau au charme fou et qui se font tellement discrets et si fins qu’on a du mal à les repérer sur l’horizon. Ils ont une tête en delta surmontée d’une huppe que l’on croirait des oreilles, l’œil rouge bien vif et perçant, et pratiquent le plongeon avec une belle dextérité qui les voit sauter en arrière et s’engouffrer soudain totalement dans l’eau pour aller chercher quelque petit poisson ou insecte au fond de l’étang.

 

Ne les attendez surtout pas à l’endroit où ils ont plongé, ce serait trop facile ! Non, il convient encore de se crever les yeux sur l’étang pour avoir de nouveau le droit de les admirer. Un grèbe huppé, cela se mérite. Quant à le prendre en photos, cela relève de l’art. Pour observer ce punk attendrissant, le repérer de loin est donc indispensable. La qualité de l’approche est source de réussite ou d’échec. Elle doit être silencieuse et masquée, par respect pour l’oiseau qui ne doit pas se sentir agressé dans un univers qui est d’abord le sien. Oui, j’appartiens bien au lieu d’observation et non l’inverse, il faut l’avoir toujours à l’esprit.

 

Ne pas respecter ces règles élémentaires aboutirait de toute façon à une sanction immédiate. Les grèbes s’éloigneraient très rapidement en plongeant et ressortiraient trop loin hors de portée de l’œil et de l’objectif.

C’est particulièrement le cas au stade de la couvée ou du port de la nichée. Mais quelle satisfaction de réaliser des photos du couple avec les petits sur le dos ! Un cadeau de dame nature.

 

Je reste là à guetter ce passage qui ne se fera pas. Contemplative, je respire simplement de tous mes pores cet instant-là, ce paysage-là qui me sont offerts et que j’ai appris à absorber comme un buvard. Moments intenses emplis d’espérance de ce que l’on attend, d’images fortes ou enchanteresses que l’on n’attendait pas, de partages avec l’animal et le végétal, de transposition puis de retrouvailles de l’humain avec la nature.

 

Je regarde ce troglodyte mignon qui surgit des feuillus et sautille à quelques centimètres de moi. Je me sens en totale harmonie maintenant avec cette nature qui m’environne. Je n’ose même pas bouger pour tenter une photo. Cela ne servirait à rien, le mignon s’envolerait dans la fraction de seconde. Je l’observe, il sautille allègrement parmi les feuilles et les brindilles. Il cherche quelque nourriture, il sifflote. Il est chez lui.

 

Le ciel partage le paysage par les couleurs qu’il projette , il lui offre sa lumière, il le nourrit. L’eau scintille aux vibrations du vent, elle s’imprègne de l’air et frémit. Images fugaces de vitraux, miroirs de l’eau que les canards brisent et puis recréent par leur barbotage. Je tourne la tête doucement. Le troglodyte mignon a disparu.